Une tribune de Jacques Priol publiée le lundi 23 avril 2018 dans La Gazette des Communes
La ville de demain sera intelligente. Le schéma se met en place. Il fait la part belle aux métiers de flux (les transports, l’eau, l’énergie) et parfois à la sécurité. Ces choix sont logiques : il s’agit des métiers pour lesquels les données sont les plus volumineuses et les plus facilement accessibles, notamment du fait de la multiplication de capteurs connectés. Il faut le préciser : la ville intelligente est pilotée par la donnée. Une trentaine de territoires expérimentent aujourd’hui en France à des échelles plus ou moins importantes (une rue, un quartier ou la ville) ce qu’est une approche « smart » et son fonctionnement « data driven ».
Quelques premiers résultats sont encourageants et ont pu donner lieu à des évaluations intéressantes. Des économies réelles apparaissent, par exemple grâce à une gestion plus « intelligente » des consommations électriques des bâtiments communaux et de l’éclairage public. Il en est de même pour l’eau. La régulation du trafic automobile est améliorée. Quelques grands opérateurs ont construit avec des territoires pionniers des démonstrateurs probants.
Mais à bien y regarder, que démontrent ces « cas d’usage » ? Ils démontrent avant tout que la collecte et la maîtrise de la donnée, permettent d’optimiser des flux et des consommations en temps réel grâce à des algorithmes. La ville intelligente n’est-elle pas en réalité en train de devenir une ville automatique ? Au risque de nous précipiter dans un modèle contraire aux objectifs affichés de tous les programmes « smart » ?
Tous ces programmes font la part belle à différentes formes d’intelligence. La « smart city » se veut inclusive, participative, démocratique, durable. La promesse est belle : la collecte des données combinée à de nouveaux usages numériques va faire émerger un nouveau modèle de gouvernance de la cité. A la fois plus efficient, mais aussi plus transparent, plus accessible, plus agréable à vivre.
Tout ceci ne coule pas de source. Nous sommes en France, en Europe. Pas à Toronto où le Sidewalklabs d’Alphabet installe un premier démonstrateur grandeur nature d’une ville monitorée, automatisée et pilotée par la donnée. Chez nos amis canadiens, la polémique commence à poindre : ce modèle de ville intelligente ne serait pas aussi intelligent qu’il le prétend. La gestion algorithmique, trop rapide et peu transparente, laisse peu de place à l’implication citoyenne. Voire supplante le rôle de la représentation démocratique.
Faire de nos villes des villes « plus » intelligentes suppose du temps long et une stratégie qui garantit la maîtrise et l’émergence d’usages vertueux des données massivement collectées. L’ouverture des données par défaut par exemple, ne doit pas être vécue comme une seule obligation légale à compter d’octobre 2018, mais comme un levier de transparence et de participation citoyenne, ce qui nécessite une réflexion sur des outils de médiation et d’éducation à la donnée. Les collectivités locales ont à mener une réflexion sur la protection des données des habitants qui va au-delà de la stricte application en mai prochain d’un nouveau cadre légal. Elles doivent aussi réfléchir à la souveraineté de leurs données publiques et de manière plus large des données d’intérêt général.
Bref, la ville sera intelligente si ses concepteurs ont une vision des enjeux et des usages, et sont des stratèges. A défaut, la ville sera sans doute économe mais déshumanisée, dépolitisée et automatique.