Interview parue dans CourrierCab le 10 février 2017.
Le « Bigdata » électoral, fantasme à l’américaine ou réalité bien française ?
En France à chaque élection présidentielle, des experts, des élus, des commentateurs y vont de leur comparaison avec les Etats-Unis. Les équipes de campagne font leur « voyage d’études » : qui à la convention républicaine, qui à la convention démocrate. Aux Etats-Unis, l’utilisation massive de données personnelles des électeurs est une réalité concrète depuis longtemps. En l’absence de législation protectrice des données individuelles, les formations politiques disposent d’informations très détaillées sur chaque électeur : ses coordonnées bien sûr, mais aussi ses revenus, ses habitudes de consommation, ses opinions, sa religion, son origine ethnique,… Toutes ces données sont disponibles, et elles s’achètent. A l’instar d’une entreprise commerciale, l’équipe d’un candidat va ensuite « cibler » de façon précise ses messages : informations, invitations, appels au vote, appels aux dons,…
Ce système n’est pas transposable en France. D’abord parce que la CNIL limite drastiquement le recueil et l’utilisation des données personnelles. Ensuite parce que les budgets des campagnes électorales sont plafonnés, et très contrôlés.
Mais le « Bigdata électoral » ne se limite pas au ciblage systématique du corps électoral. Il permet l’analyse et la compréhension des comportements électoraux dans un territoire. Et il permet le ciblage des comportements des partisans et des sympathisants pour accroître l’efficacité des campagnes. Ce que les anglo-saxons appellent « l’empowerment ».
Concrètement, comment ça marche ?
L’analyse « Bigdata » des comportements électoraux s’appuie sur des modèles statistiques connus (utilisés par des chercheurs en sciences politiques notamment) mais exploités par des algorithmes nouveaux et puissants avec l’utilisation de données massives qui jusqu’à présent n’étaient pas accessibles. Aujourd’hui, la totalité des résultats électoraux, pour toutes les élections, bureau de vote par bureau de vote, est disponible. Des dizaines d’indicateurs économiques, sociologiques ou démographiques le sont aussi. A une échelle de plus en plus fine (2000 habitants, et parfois beaucoup moins). Des start-up telle que Liegey Muller Pons, première start-up électorale d’Europe, sont capables de produire des analyses très fines qui, a minima, objectivent et confirment des « intuitions de terrain », mais le plus souvent permettent de comprendre des évolutions électorales déroutantes. Les analyses « Bigdata » sont à ce titre très complémentaires des traditionnelles études d’opinion, avant peut-être un jour de les supplanter…
La gestion « Bigdata » de l’engagement citoyen fonctionne différemment. L’idée est simple : dans le respect des limites fixées par la CNIL, il est possible de collecter beaucoup d’informations publiques pour enrichir les profils des personnes qui ont volontairement laissé leurs coordonnées. Le lien est notamment fait avec les réseaux sociaux. Ensuite, chacun se verra proposer un parcours d’engagement qui correspond à son profil, et l’on améliore ainsi l’efficacité de la campagne. C’est ce que fait notamment Nationbuilder, un logiciel californien qui fait une percée très remarquée en France depuis 2016.
Concrètement, en 2017, qui se sert de ces outils ?
Au niveau national de nombreux candidats se sont dotés d’outils puissants. NationBuilder a été utilisé pour les primaires de la droite et du centre par François Fillon, Alain Juppé, Bruno Le Maire, Nathalie Kusciusko-Morizet et Nicolas Sarkozy. A gauche, il est utilisé par Jean-Luc Mélenchon. Arnaud Montebourg a choisi pour sa part une version française, plus limitée en termes de « Bigdata », qui s’appelle DigitaleBox. Quant aux analyses de données électorales massives, notamment proposées par Liegey Muller Pons, elles seront utilisées par des candidats dans plus de la moitié des circonscriptions pour les législatives !
Y a-t-il des limites à l’utilisation de ces outils par les élus locaux ?
Il faut distinguer les usages. Les analyses électorales « Bigdata » ne fonctionnent que si l’on dispose de données importantes. Elles ne sont donc utilisables que pour des communes d’une certaine taille. Elles sont pertinentes pour une région, un département, une circonscription.
En revanche, les outils « d’empowerment » peuvent être utiles à n’importe quelle échelle : une commune, un quartier, des associations… Pour une campagne électorale, mais aussi pour améliorer l’implication des citoyens dans la vie de la cité, hors campagne électorale.