Une interview parue dans la Gazette des Communes le 1/12/2017
Jacques Priol, auteur de l’ouvrage « Le big data des territoires« , récemment publié aux Éditions Fyp, est fondateur et directeur de mission du cabinet de conseil et stratégie Civiteo. Il met en garde les collectivités sur la nécessité de prévoir la maîtrise de leurs données dans les stratégies de smart city. Il réagit notamment aux résultats d’une étude menée par La Gazette et la Caisse des dépôts, consacrée aux « Territoires intelligents ».
Comment peut-on rendre la ville intelligente ?
Il s’agit en réalité pour les collectivités de rendre la ville « plus intelligente » que ce qu’elle est aujourd’hui, grâce aux millions de données qui sont à leur disposition, recueillies notamment par des capteurs de plus en plus nombreux et traitées par des systèmes d’analyse puissants. Toutes ces informations permettent de rendre de meilleurs services, sur mesure et plus économes car ils sont adaptés aux besoins. En croisant les données, on peut par exemple prévoir de lier l’éclairage nocturne à divers paramètres comme les habitudes de déplacement ou les phénomènes météo, en fonction de modèles prédictifs et de règles prédéfinies, ou de réguler les feux différemment selon les horaires pour réduire automatiquement les embouteillages à l’entrée et à la sortie de la ville.
Comment voyez-vous la ville intelligente aujourd’hui ?
Aujourd’hui, elle est surtout technique. De nombreuses solutions améliorent le service et sont sources d’économies dans quatre secteurs : énergie, transports, eau, déchets. Mais il faut passer à une autre échelle. Les collectivités doivent construire une stratégie, qui nécessite de diffuser une culture de la donnée auprès des élus et des services, afin qu’ils comprennent les enjeux du territoire intelligent. Stratégie qui passe aussi par l’open data, puisque les communes de plus de 3 500 habitants devront ouvrir leurs données à partir de l’an prochain. Mais, en tout état de cause, il ne faut pas subir l’arrivée de ces nouveaux outils ni les déploiements imposés par les grands opérateurs. La démarche consiste à adopter une stratégie réfléchie, fixer des objectifs précis et faire ensuite appel aux opérateurs pour déployer les dispositifs.
Ce modèle présente-t-il des risques ?
Cette « hyper-technicisation » de la gestion urbaine laisse finalement peu de place au citoyen, au profit du recueil des données, créant un écart entre les intentions affichées de la ville intelligente — améliorer la qualité de vie en associant les citoyens — et sa réalité. D’où un risque de dépolitisation de la gestion urbaine et même de privatisation de l’espace urbain, car ces dispositifs reposent sur l’intervention massive de grandes entreprises privées et même des géants du web. Avec un tel degré de technicité et de tels investissements, que seuls des acteurs privés pourront intervenir et que ce sont alors eux qui géreront la ville pour le compte des collectivités.
Vous mettez en garde les collectivités sur la maîtrise de leurs données. Pourquoi ?
En mai 2018, le règlement général européen sur la protection des données (RGPD) entrera en vigueur. Ce texte remplacera la loi informatique et libertés de 1978 et imposera aux collectivités de protéger différemment les données personnelles des citoyens. Dans le cadre de la smart city, l’application du RGPD va leur imposer de réfléchir à une collecte raisonnable des données. La collecte et la gestion des données devront être réfléchies et anticipées avec une logique de transparence et de confiance des usagers dans le service public. Ce sera un levier pour aller vers la ville intelligente de manière raisonnée, raisonnable et efficace. Les données d’intérêt général, définies par la loi Lemaire, et les données des citoyens ne sont pas celles que le consommateur consent à laisser à disposition de Google, Amazon ou Facebook… La collectivité doit savoir quel type de données elle collecte, la raison pour laquelle elle les recueille et à quoi elles serviront. C’est indispensable pour que les citoyens gardent une confiance a priori dans le service public. Et peu de collectivités sont prêtes pour l’arrivée du RGPD : elles doivent absolument se préparer.
Une récente étude menée par La Gazette et la Caisse des dépôts montre que les grandes collectivités s’appuient sur les start-up pour développer leurs projets d’innovation. Que pensez-vous de l’apport des start-up à la smart city ?
Attention au fantasme de la start-up locale qui va tout régler. Si lors des « hackathons », qui sont des concours visant à créer de nouveaux services à base de jeux de données en 48 h, elles proposent souvent des solutions très habiles, cela débouche rarement sur des modèles économiquement viables et reproductibles.