Cet article a été publié en avril 2017 par la Lettre du cadre territorial.
La loi pour une République numérique du 7 octobre 2016 en a décidé ainsi : les collectivités locales françaises n’ont plus le choix, elles devront toutes, d’ici deux ans, rejoindre le mouvement de « l’opendata ». L’occasion de faire un point complet, de revenir sur l’expérience de quelques pionniers et de poser les questions qui fâchent !
Open data, littéralement : données ouvertes, on parle aussi de « libérer » des données. Ce mouvement de libération est récent. Il date des années 2000 et trouve sa source outre-Atlantique. Pour quelques pionniers nord-américains, généraliser l’ouverture des données publiques est le moyen prioritaire d’atteindre des objectifs politiques de transparence et d’émergence de réels contre-pouvoirs nécessaires à la bonne marche de la démocratie.
A cette conception très anglo-saxonne et philosophiquement libérale, répond très vite une approche européenne, et notamment française, qui privilégie l’idée selon laquelle la libération des données est avant tout un formidable levier pour permettre, encourager et alimenter la participation citoyenne.
Nous sommes en 2010, Rennes ouvre le bal (avec Keolis) en libérant les données de son réseau de transport public. Paris, Nantes, Strasbourg, Montpellier, Bordeaux,… vont suivre. Des départements aussi (Loire-Atlantique, Gironde,…) et des régions, PACA et Pays de la Loire notamment.
L’opendata : des principes simples et des objectifs multiples
Il est intéressant de s’arrêter sur les motivations des pionniers, leurs premiers essais, leurs erreurs. Pourquoi se sont-ils engagés dans l’opendata ? D’abord par principe : un acteur public doit rendre des comptes aux citoyens, usagers et accessoirement contribuables. La Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 le stipule : « tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée » (art.14) et « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration » (art.15). La loi CADA de 1978 précise la nature des documents accessibles sur simple demande.
Dans cette veine, certains considèrent que l’opendata est un moyen essentiel de la lutte contre la corruption. En février 2017, Transparency International publiait un rapport regrettant que cet objectif spécifique n’est pas une priorité de l’opendata français, et pointait notamment la « culture du secret » de nos administrations. Quelques événements récents, la publication de la liste des collaborateurs des parlementaires au hasard, montrent néanmoins que ce chemin existe.
La transparence n’est pas tout. Il y a chez les collectivités pionnières la volonté de susciter la participation des habitants. L’appropriation de données (par exemples budgétaires) jette les bases de démarches citoyennes nouvelles. Il y a aussi l’idée que des données gratuitement mises à disposition, dans des formats faciles d’utilisation, vont permettre de créer de la richesse. Des entreprises, – on pense le plus souvent à des start-up -, vont pouvoir se saisir de ces données pour créer des services nouveaux. L’exemple le plus fréquent est la création d’applications mobiles permettant le suivi en temps réel des transports publics (horaires, planification d’itinéraires,…).
Pour tous ces objectif, la solution est la même : créer un portail internet, y déverser des données (complètes, et à l’état « brut »), dans un ou plusieurs formats faciles à exploiter (le format « Excel » et quelques autres), avec des règles d’utilisation (les « licences » opendata).
Les collectivités locales françaises à la pointe du mouvement
Selon Opendata France, l’association nationale qui fédère les acteurs locaux de l’opendata, 150 collectivités territoriales sont aujourd’hui « ouvertes » : 8 régions, 17 départements et 13 métropoles, ainsi que de nombreuses communes petites ou moyennes. 80% de ces collectivités ont créé leur propre portail de données, et 20% utilisent un portail mis à leur disposition (par exemple un portail régional, ou surtout le portail national www.data.gouv.fr sur lequel on retrouve plus de 20 000 « jeux de données » déposés par plus de 200 services publics différents).
La loi pour une République numérique, dite loi Lemaire, va provoquer un changement d’échelle. Après avoir décortiqué l’expérience des pionniers, le législateur a considéré que l’Opendata devait dorénavant devenir la règle. Toutes les collectivités de plus de 3500 habitants et employant plus de 50 agents, – elles sont près de 4000 ! -, vont devoir libérer leurs données d’ici 2018. Mais quelles données ? Comment ? A quel coût ?
Les principes de la loi sont simples, et peuvent être résumés ainsi : tous les documents dont l’accès était jusqu’à présent garanti par la CADA, devront bientôt être, non plus transmis à la demande, mais bien rendus accessibles. Ce principe porte un nom : « l’ouverture des données par défaut ». Cette obligation s’appliquera aussi aux délégataires de service public. La loi fixe un délai : 2 ans après sa promulgation.
Il vous reste 18 mois…
Les questions sont très nombreuses. Elles concernent d’abord les données elles-mêmes : lesquelles faut-il publier ? Où les trouver ? Comment les présenter ? Quel rythme de mise à jour ? Elles concernent ensuite les modalités de mise à disposition : où les stocker ? Sous quelle forme ? Avec quelles règles d’utilisation ? Elles concernent encore l’organisation des services : qui va s’en occuper ? Qui vérifiera les données ? Qui va les publier ?
Bref, un vaste chantier pour qui découvre le sujet. C’est la raison pour laquelle Opendata France s’est vu confier une mission d’accompagnement qui s’appuie sur l’expérience des pionniers. Nom de code : opération « OpendataLocale » (voir ici).
Sans attendre, quelques éditeurs de solutions techniques sont sur le marché. On pense à la start-up française, OpenDataSoft, qui se taille pour l’instant la part du lion. Mais de nombreux autres éditeurs arrivent, qui connaissent bien le monde des collectivités locales.
Alors… par où commencer ? Avant de se pencher sur le choix d’une solution technique, avant de raisonner « obligation légale », avant de se perdre dans les diverses licences de diffusion des données ouvertes, il est souhaitable de se pencher sur quelques sujets stratégiques. D’ailleurs, les villes pionnières ne s’y trompent pas. Elles ont essuyé les plâtres et sont à la recherche d’un second souffle. Les services ? Enthousiastes au début, ils peinent à fournir et à mettre à jour leurs données. Une idée généreuse s’est transformée en routine bureaucratique déplaisante. Et d’ailleurs, certains jeux de données sont sacrément périmés ! Les start-up ? Après quelques « hackathons » vraiment sympas (la presse et les élus ont ad-o-ré), aucun projet n’a trouvé son équilibre économique. La transparence ? Même les journalistes passent leur temps à réclamer des données qui sont sur le portail en libre accès… Bref, l’opendata n’est pas encore devenu le moyen naturel d’accès à des informations utiles et nécessaires à la bonne marche de la cité.
Revenir aux fondamentaux
Avant de se lancer, a fortiori dans une collectivité de petite taille disposant de peu de moyens à mobiliser, il est important de mesurer les implications quotidiennes de l’Opendata.
D’abord en pensant à l’interne. L’Opendata n’est pas qu’une contrainte de production supplémentaire. Préparer un jeu de données (les effectifs des écoles, les prénoms à l’Etat-Civil, les marchés publics, les subventions,…), c’est aussi l’occasion de réfléchir à son partage interne. L’utilisation des données par d’autres services est un excellent levier pour décloisonner l’activité, pour améliorer l’efficacité du service, et accessoirement améliorer la qualité des jeux de données. Diffuser la culture des données ouvertes au sein d’une administration, c’est aussi découvrir que d’autres administrations ont fait de même. La très récente ouverture par l’INSEE du répertoire SIRENE des entreprises, rend accessible à tous les services économiques de France, des données très utiles, d’une ampleur inédite et mises à jour en temps réel.
Ensuite, il faut imaginer les usages citoyens possibles. De l’expérience des pionniers, il ressort que l’appropriation citoyenne est balbutiante. Malgré l’activisme de certaines associations, Libertic par exemple, malgré l’organisation de nombreux « hackathons » et autres dispositifs innovants d’appropriation des données, force est de constater que l’Opendata local n’a pas rencontré massivement son public. C’est la raison pour laquelle des acteurs tel que la FING en France, ou Opennorth au Canada, considèrent qu’il faut consacrer du temps et des moyens à développer une « culture de la donnée ». Pour que demain, à l’heure de choisir un prénom pour leur futur enfant, des jeunes parents sachent que la liste des prénoms donnés en France, et dans leur commune, est disponible et mise à jour en temps réel. Ou pour suivre les travaux des assemblées locales, ou pour savoir, aussi, si les élus siègent bien en réunion.
Opendata et données personnelles
Par ailleurs, la loi Lemaire va s’appliquer alors que les collectivités vont devoir « digérer » le nouveau règlement européen de protection des données (applicable lui aussi en 2018 !). Réfléchir aux deux sujets de façon concomitante pourrait s’avérer des plus utiles. Et des plus vertueux. Opendata et protection des données personnelles ne font pas toujours bon ménage. C’est d’ailleurs pourquoi la loi Lemaire, et la loi CADA depuis 1978, prévoient des exceptions. On ne diffuse pas de manière ouverte des données personnelles, elles doivent être anonymisées. Mais plus il y a de jeux de données anonymes en circulation, plus les possibilités de croisement sont possibles, et plus le risque de « réidentification » existe. Quelques cas américains, notamment en matière de données de santé, font frémir… Et ce n’est pas un hasard si la loi pour une République numérique engage un rapprochement entre la CNIL et la CADA.
Et même anonymes, les données ouvertes peuvent-elles tomber entre toutes les mains ? Des algorithmes permettent aujourd’hui à quelques-uns, citons bien sûr Google mais il n’est pas seul, la collecte massive des données d’intérêt général libérées par les collectivités locales. Pour des usages sans doute licites, mais est-ce l’objectif d’une collectivité de faciliter le travail (gratuitement !) des vendeurs de publicité. Cas concret : aujourd’hui les permis de construire et documents d’urbanisme sont communicables, et c’est bien le moins. Rendus accessibles de manière automatisée, ils intéresseront très directement les professionnels de la construction et de l’équipement des maisons. Ici interviennent les fameuses « licences » d’opendata. Chaque collectivité peut fixer les règles de réutilisation de ses données, en interdire certaines exploitations commerciales notamment. Quelques polémiques récentes sur les conditions de mise à jour de la principale licence française, conçue par ETALAB, montre les enjeux qui existent entre les tenants du « tout ouvert » originel, libéral voir libertarien, et les tenants d’une approche très « service public à la française » qui souhaitent protéger la souveraineté de données d’intérêt général, quitte à en limiter un peu la transparence…
Ces contradictions, chacune des 3 800 communes concernées par la loi d’octobre 2016 y sera confrontée. Y songer avant, c’est déjà faire un vrai pas vers sa future politique locale de l’opendata.
LA LETTRE DU CADRE Opendata mai 2017
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